Habiter le temps

Auteur . Rasmus Lindberg

Traduction . Marianne Ségol-Samoy

Création au Théâtre du Vieux-Colombier de la Comédie-Française en juillet 2021

 

“Dans une maison de famille, trois histoires, situées à trois époques différentes (1913, 1968, aujourd’hui), tissent le récit d’une saga familiale. Un évènement dramatique qui s’est produit en 1913 a ainsi des conséquences sur les générations suivantes.

Ces trois couples dont les destins se font écho dialoguent à travers le temps de façon sensorielle révélant leurs blessures, leur incapacité à vivre, leur culpabilité. Les mensonges des uns se répercutent sur ceux des autres et, comme dans un chœur polyphonique, chacun exprime son désarroi. Les répliques se croisent pour façonner un thriller psychologique où chacun donne progressivement à entendre sa propre version de la réalité.”

À propos de la pièce

Comme dans tous les textes de Rasmus Lindberg, le temps et la question existentielle sont au cœur du processus d’écriture. Ici, la pièce pose une question essentielle : Qu’est-ce qui détermine et influence un individu ? De quoi est faite cette mémoire, consciente ou inconsciente, qui se transmet de génération en génération ? Quelle part prend-elle dans la constitution de notre personnalité et dans nos choix ?

L’équipe

Mise en scène . Leah Lapiower

Scénographie . Chloé Bellemère

Costumes . Claire Fayel

Lumières . Philippe Lagrue

Chorégraphie . Julia Cash

Création sonore . Noëmy Oraison

Collaboration artistique . Héloïse Manessier

Comédien.ne.s. Salomé Benchimol, Clémentine Billy, Antoine de Foucauld, Chloé Ploton, Camille Seitz, Nicolas Verdier

Photographies . ©Chloé Bellemère

  • (Entretien et Intentions avec Leah Lapiower, réalisé par Laurent Muhleisen, conseiller littéraire de la Comédie Française, le 14 juin 2021)

    Laurent Muhleisen. Pour ton spectacle de fin d’année - qui vient clore ton parcours de metteure en scène-dramaturge au sein de la Comédie-Française - tu as choisi de travailler sur un texte de Rasmus Lindberg, un auteur suédois. Jusqu’ici, tu n’avais mis en scène que tes propres textes. Comment as-tu abordé cette mutation ?

    Leah Lapiower. Effectivement, je n’avais jamais monté de textes qui n’étaient pas de moi. J’ai donc appris sur le tas, ici, ce qu’on appelle véritablement la dramaturgie et, ce faisant, je découvre une autre façon d’écrire. Lorsqu’on met en scène un texte qui n’est pas de soi, on fait l’expérience d’une altérité ; on est confronté à une forme d’écriture, sensible, au plateau, à partir de vérités à l’œuvre dans le texte ; la mise en scène révèle des sens, elle ne les révèle pas tous, il ne s’agit pas de mettre de la dynamite dans un fleuve pour faire remonter tous les poissons, mais d’en pêcher certains, plus précieux à notre sensibilité, et je me prends vraiment au jeu. Je conviens que, pour une première expérience de travail sur un texte qui n’est pas de moi, j’en ai choisi un de particulièrement épineux.

    L.M. Justement, qu’est-ce qui t’a séduit dans la dramaturgie de ce texte en particulier ?

    L. L. La pièce traite du temps - en ce qu’il constitue l’homme, dans son rapport à la mémoire (ce qui passe et ce qui demeure) - mais aussi du temps comme matière physique. Rasmus Lindberg a beaucoup travaillé à partir de la physique quantique et sur le temps relatif. Avant ce spectacle j’avais écrit et monté une pièce sur l’éternel retour. J’ai donc d’abord choisi ce texte par affinités personnelles. On peut comprendre ce titre « habiter le temps » au sens, métaphorique, bien sûr, mais aussi littéral : ici les corps des acteurs habitent le temps. Un temps relatif. On aborde le texte comme une partition physique avec des suspends, des ralentis, des accélérés. Et plus on avance dans la pièce, plus les acteurs sont prisonniers de cet espace temps. La pièce se passe à trois époques différentes et concerne trois générations dans le même espace, qui ne se voient pas mais s’influencent, se déterminent les unes les autres. C’est une forme très moderne qui nous parle fortement aujourd’hui. Cette narration complexe, non linéaire, mêlée, propose au spectateur un travail, cognitif, de reconstitution. D’ailleurs la pièce est un thriller et c’est le même mécanisme à l’œuvre que dans beaucoup de séries actuelles, où la narration est si tressée, parfois contradictoire, que le spectateur est actif, incité à dénouer et renouer les fils de cette histoire.

    L.M. Le texte de Rasmus Lindberg est souvent « en creux », et sa forme de thriller fait que les choses n’y sont dévoilées qu’avec parcimonie, au fur et à mesure. Ainsi, 7la mise en scène donne parfois à voir ce qui n’est pas forcément dit. As-tu été amenée à développer une « grammaire » des corps et des gestes dans ton travail, orant un contrepoint à une parole parfois erratique ?

    L. L. Une des premières conversations que j’ai eu avec la traductrice de Rasmus, Marianne Ségol-Samoy, m’a donné une clé fondamentale : bien que le texte soit une saga familiale avec une dimension psychologique, une autre histoire s’y raconte que celle de l’intime : une mécanique à mettre en marche, de causes et d’effets, presque inéluctables, il faut faire tourner cette grande horloge, je l’ai pensé comme grand cadran avec, à l’intérieur, tout un tas de rouages, de plus en plus petits ; trouver comment les corps sont mus les uns par les autres et donc ne pas s’en tenir à l’expression du particulier de cette famille. Il ne faut cependant pas oublier de rendre compte aussi du plus tendre de l’émotion, du rapport au souvenir, au deuil, à la finitude.Il est vrai que je raconte une autre histoire sous cette histoire ; elle y est comprise, mais tient aussi à mon regard.

    L.M. Peux-tu en dire deux mots ?

    L.L. La mort, disons, est un des points d’entrée dans le texte. Ne serait-ce que parce qu’une partie au moins des protagonistes sont morts, mais peut-être tous, cela dépend du point de vue où l’on se place, dans le temps, pour observer. Ensuite, la question de la pulsion de mort - et notamment du suicide - sont à l’origine du nœud familial. Je travaille beaucoup sur l’absence, et sur cette appétence des âmes à se rencontrer tout en affrontant une permanente impossibilité à se rejoindre complètement : c’est mon axe principal. Tous les acteurs sont au plateau et puis, tout à coup, par un jeu d’éclipse, l’un ou l’autre disparaît, et je travaille à rendre encore matérielle la trace de ce ou ces corps, la matière de l’absence. Voilà l’une des histoires qu’on raconte « en-dessous », ces corps qui persistent par notre désir ou s’oublient par notre déni.

    L.M. Comment s’invente la scénographie, le décor, les costumes d’un projet comme celui-ci ; on traverse un espace sur une centaine d’années, peuplé de personnages qui ne vivent pas à la même époque.

    L.L. Le processus a été passionnant, parce que Chloé Bellemère, qui signe la scénographie, et moi ne nous sommes pas « trouvées » tout de suite; or, depuis que c’est le cas, tout est devenu d’une limpidité et d’une force qui me bouleversent à chaque fois. Ce que je voulais, au début, c’est éviter l’effet maison de poupée. Je ne voulais pas une maison réaliste avec une accumulation de trace, des années 20, 70, ou 2000 . Lors de notre rencontre, Marianne Ségol disait «c’est presque un texte que l’on pourrait monter comme Dogville de Lars Von trier». J’ai été tentée par ça, puisque dans cette idée de mécanique humaine les objets, fonctionnels, particularisés, me semblaient anecdotiques et je voulais un décor symboliste. Mais Chloé Bellemère, la scénographe m’a fait comprendre qu’un décor trop abstrait s’épuiserait vite face à ce texte. Nous avons finalement trouvé un parfait entre-deux. Le décor est immergé, comme s’il avait coulé. On a une armoire – et c’est une véritable armoire familiale, très belle - mais elle est à demi enfoncée dans le sol. Et le lieu de la rencontre est vraiment là : entre symbolisme et réalisme. Le décor proposé par Chloé a une charge métaphysique et symboliste tout en étant ancrée dans une poésie concrète de la mémoire. Tout le décor tient dans cette idée forte, comme nous l’a dit Eric Ruf : « le temps submerge toutes choses». Quand on est assis dans le public, c’est ce qu’on voit. Claire Fayel, qui conçoit les costumes, face à ces mêmes questions, a choisi de travailler sur des costumes conformes aux époques, mais sans surligner leur historicité justement, en restant sobre et en cherchant des points de correspondance, des rappels, entre chacune des générations.

    L.M. Par bonheur, la distribution correspond au nombre d’acteurs que tu as à ta disposition. Comment s’est faite la rencontre entre les acteurs et les rôles ?

    L.L. Elle est en train de se faire. Les acteurs qui incarnent les grands-parents - autrement dit le père et la mère de la première génération, à l’origine du drame, ont le parcours d’acteurs le plus clair, parce que justement, ils vivent ce drame, alors que les deux générations suivantes sont porteuses de la mémoire et du récit (erratique) du drame. Ils sont les héritiers de cette première génération; il y a donc une autre recherche d’acteur à faire. Ils sont davantage responsables de la totalité de la narration, alors que la première génération est avant tout responsable d’elle-même

    L.M. Bien que déterminé par cet héritage, cette transmission presque génétique de la catastrophe originelle, ils sont pourtant, dans une forme de méconnaissance de ce qui leur arrive. Il est d’autant plus difficile de surmonter une épreuve, qu’on ne parvient à en cerner les tenants et les aboutissants...

    L. L. Oui, mais, et c’est tout l’intérêt : les gens du futur sont déterminés par ceux du passé, mais ceux du passé aussi par ceux du futur. La pièce ne se résoud pas dans l’idée que certains ne seraient que les souvenirs des autres ou que ceux du futur ne seraient que des projections mentales du passé ; on a vraiment cette sensation d’espaces temps parallèles qui s’influencent sans cesse. Ce n’est donc pas un parcours classique pour les acteurs. Entre fantômes, projections, déjà-vus, prémonitions et souvenirs, ils doivent sans cesse choisir mais sans jamais trancher !

  • Pièce pour 6 comédiens . Durée 1h30 . Sans entracte . Tout public

    Création au Théâtre du Vieux-Colombier en juillet 2021.

    Prochaines représentations :

    jeudi 24 et vendredi 25 mars 2022 au Paris Anim’ Centre Ruth Bader Ginsburg, 6/8 place Carrée, (dans le Forum les Halles), 75001 Paris.

    Réservations :

    par email (caleshalles@actisce.org), ou par téléphone (01 40 28 18 48)

    Partenaires du spectacle :

    Comédie-Française, Théâtre du Vieux-Colombier, Groupe IGS, Ville de Paris, Actisce, Centre Paris Anim’ Les Halles

  • Le spectacle Habiter le temps a été créé dans un soucis d’upcycling. Ainsi, l’entièreté du décor, des accessoires et des costumes sont des éléments récupérés afin d’être revalorisés pour le spectacle. Seuls la peinture du plancher et l’ignifuge ont été achetés à neuf.